Etonnamment si

Législatives 2024 : « L’alliance avec le RN est le meilleur moyen d’achever la droite »

Mardi 11 juin, le président de LR, Éric Ciotti, annonçait une alliance avec le RN. Un coup de tonnerre pour le camp républicain, qui en souhaitant à tout prix préserver le consensus risque finalement de précipiter sa chute, selon François-Xavier Demoures, président de l’agence « Étonnamment, si ».

À quelques jours du second tour, une question s’impose : si le RN n’est qu’à quelques sièges de la majorité absolue, la droite républicaine se joindra-t-elle à l’extrême droite pour former une coalition à même d’installer Jordan Bardella à Matignon ?

Si l’on accepte de mettre entre parenthèses la question morale sous-jacente à ce ralliement pour s’en tenir aux seules considérations politiques, il semble au premier abord parfaitement logique. Selon un sondage Ifop publié le 16 juin, une majorité d’électeurs de droite le souhaitent : 54 % des sympathisants LR seraient favorables à une telle alliance. Certains en tirent la conclusion que c’est même le seul moyen de sauver une formation de droite promise à l’effacement.

Ce serait pourtant le meilleur moyen de l’achever. En faisant ce choix, la droite républicaine finirait de scier la branche sur laquelle elle est assise. Elle empêcherait sa propre reconstruction.

Une aversion au changement


En effet, du point de vue de la psychologie politique, les ressorts de l’autoritarisme, que l’on retrouve principalement chez les électeurs d’extrême droite, diffèrent radicalement des ressorts du conservatisme, présents chez les électeurs de droite. La spécialiste de la dynamique autoritaire Karen Stenner montre que l’autoritarisme est une aversion à l’égard de la différence, tandis que le conservatisme est une aversion au changement.

Les autoritaires recherchent l’unité et l’homogénéité du groupe. Cette disposition s’accompagne d’une forte intolérance et d’une soumission à l’autorité contre la liberté individuelle. C’est à ces dispositions que Marine Le Pen s’adresse lorsqu’elle déclare à l’issue du premier tour des législatives qu’il s’agit pour le peuple « de ne faire qu’un ».

À l’inverse, les conservateurs aspirent avant tout au maintien de l’ordre social. Ils cherchent à éviter l’incertitude et à contrôler leur environnement. C’est à ces dispositions qu’Angela Merkel s’adressait lorsqu’elle répétait que sa priorité allait à la « stabilité ».

Pour les autoritaires, le changement n’est donc pas un problème, pourvu qu’on change ensemble et que l’unité et l’homogénéité du groupe en sortent plus fortes. Pour les conservateurs au contraire, l’affirmation de l’autorité et le rejet de la différence seront toujours moins importants que la préservation du statu quo.

Au nom du consensus


Le conservatisme ne prédispose donc pas à l’intolérance. Il n’y conduit que si le statu quo est à l’intolérance. Et c’est là une nuance de taille. Autrement dit, si « la parole se libère » et que l’option d’une alliance avec le RN ou d’un vote direct en faveur du RN devient envisageable, c’est parce que les conservateurs estiment que l’intolérance est du côté du statu quo.

Ce sentiment est d’autant plus nourri lorsque les figures de droite qui incarnent autorité et stabilité reprennent à leur compte des récits et des projets intolérants portés par l’extrême droite. Parler d’« immigrationnisme », soutenir la suppression du droit du sol ou de l’aide médicale de l’État, a contribué à légitimer des récits autrefois marginaux jusqu’à en faire des récits dominants. Ce qui finit par conduire les conservateurs à préférer l’original à la copie, c’est-à-dire l’extrême droite à la droite. Au nom même de la préservation du consensus.

À droite, beaucoup continuent de penser que la seule stratégie victorieuse consiste à reproduire celle de Nicolas Sarkozy en 2007. Aller sur le terrain de l’extrême droite, comme il l’a fait il y a dix-sept ans, serait la seule manière de devenir à nouveau majoritaire. Mais ce n’était qu’un fusil à un coup : en 2012, ce n’est pas elle qui en a profité, c’est le Front national. Pire encore : c’est là, en grande partie, l’origine de leur malheur, parce que cette stratégie a largement contribué à installer l’offre d’extrême droite comme une option légitime.

Si la droite veut se reconstruire, elle ne pourra pas se contenter d’invoquer sa capacité à gouverner. S’enfermer dans le ni-ni, ou, pire encore, aller à Canossa ne fera qu’accélérer sa disparition. En revanche, si elle met l’accent sur la stabilité et qu’elle se pose en garante des institutions démocratiques, elle peut s’imaginer à nouveau un avenir. Il y aura peut-être un prix à payer à court terme, mais c’est le seul moyen de se relever à moyen terme. Nous y avons intérêt : les électeurs de gauche, dont je suis, préféreront toujours avoir face à eux une droite debout qu’une extrême droite triomphante.

Cette tribune a été publiée sur le site du journal La Croix. Elle est disponible à l’adresse suivante : https://www.la-croix.com/a-vif/legislatives-2024-l-alliance-avec-le-rn-est-le-meilleur-moyen-dachever-la-droite-20240704