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Déplastifier le monde : pour sauver les dauphins, il faut changer le récit

La deuxième session de négociation sur un futur “traité plastique” s’est achevée le 2 juin. Elle a relancé le débat sur une préoccupation citoyenne grandissante : la pollution liée aux déchets plastiques. Mais comment s’affranchir de cette précieuse ressource qui est devenue, à l’instar du pétrole, un soubassement de nos modèles économiques ?

Envisager une réduction de la production du plastique demande des transformations profondes des modèles d’affaires et de consommation qui y sont liées. Prenons l’exemple de l’industrie du yaourt, épinglée en janvier dernier à travers le cas de Danone. Un petit rappel des faits s’impose : le géant français de l’agroalimentaire Danone a été assigné en justice par trois ONG environnementales. En cause, le non-respect du devoir de vigilance en matière de plastique. Danone est en effet le huitième plus gros utilisateur de plastique au monde, d’après le classement établi par le Programme des Nations unies pour l’environnement et la Fondation Ellen MacArthur. Si l’entreprise a entrepris ces dernières années des actions en faveur du recyclage, les ONG les jugent insuffisantes : le plastique se recycle très mal. Pour elles, le véritable enjeu est donc la réduction de l’usage du plastique, ce sur quoi la stratégie de Danone leur semble insuffisante.

Il faut dire que ces derniers temps, l’évolution du modèle économique des produits laitiers, cœur d’activité historique de Danone, n’a pas été en faveur de la « déplastification ». Il y a encore une dizaine d’années, ces industriels s’inscrivaient dans une course au volume, avec de faibles marges par produit. Du point de vue marketing, cette approche se traduisait par des formats dits « familiaux ». Face au tassement de la consommation de produits laitiers – entre 2016 et 2021, le volume écoulé a diminué de plus de 5% – les industriels ont repositionné leur offre et opté pour la segmentation : des portions plus petites et une multiplication des références.

Cette stratégie permet de faire des marges par volume de produit plus importantes et de maintenir une croissance du chiffre d’affaires, alors même que les volumes consommés diminuent. Mais elle a un effet collatéral en termes de consommation de plastique. Car des portions plus petites et des références en plus grand nombre, c’est aussi plus d’emballage.

Pour Danone, la situation s’apparente donc à la quadrature du cercle : quel modèle de développement économique alternatif adopter dans un contexte de contraction de la demande, quand il faut aussi réduire le nombre d’emballages – un objectif qui s’inscrit dans les engagements environnementaux des acteurs du secteur, parmi lesquels Danone a été pionnier ?

Côté emballages, les alternatives au contenant plastique sont limitées : le poids du verre alourdit les coûts logistiques ; sa production est très énergivore. Qui plus est, dans un contexte de segmentation extrême de l’offre, la réutilisation des emballages ou le vrac sont inenvisageables.

Cette affaire montre à quel point l’économie linéaire est aujourd’hui dans une impasse : dans un contexte de raréfaction des ressources, face à l’urgence de réduire nos déchets, les entreprises sont contraintes de construire des modèles d’affaires sur d’autres fondements que le renouvellement continuel d’une offre toujours plus variée. La nécessaire réduction du plastique implique donc d’entrer dans un autre imaginaire : celui de l’économie circulaire. Le contenant doit changer de statut : de jetable il doit devenir conservable. Cette transformation passe par de nouveaux récits, qui mettent l’accent sur la valeur du contenant en tant que tel. Elle demande également d’introduire d’autres promesses pour le consommateur que celle de la praticité et du choix, qui étaient au cœur de l’imaginaire de l’économie linéaire.

Ce nouvel imaginaire du circulaire est encore en gestation. Mais à l’heure de la déplastification, les entreprises ne pourront pas faire l’économie de l’investir, le renforcer et le déployer. Leur rentabilité et légitimité à opérer en dépendent. Pour sauver les dauphins il va falloir changer de récit. 

Laura Brimont & François-Xavier Demoures